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mardi 22 juin 2010

Le dessin, fondement de la création

Tête de femme au regard baissé (vers 1468 – 1475) Léonard de Vinci

Une centaine de dessins des maîtres de la Renaissance italienne, dont Fra Angelico, Gentile Bellini, Sandro Botticelli, Vittore Carpaccio, Leonard de Vinci, Filippo Lippi, Andrea Mantegna, Michel-Ange, Titien, Andrea del Verrocchio, fait l’objet d’une exceptionnelle exposition, à Londres, au British museum, jusqu’au 25 juillet 2010.  

Elle révèle l’importance accrue qu’ils ont acquise entre 1400 et 1510. Enrichie d’analyses historiques et scientifiques des œuvres, avec pour certaines le recours à la réflectographie à infra-rouge, l’exposition retrace le cheminement technique et celui de la pensée créatrice des artistes de la Renaissance qui se livraient dans le dessin à des expériences d’une liberté qui ne se retrouvait d’ailleurs pas toujours dans les œuvres abouties, souvent commandées.

« Le peintre discute et rivalise avec la nature. » - Léonard de Vinci.
« Le dessin est la vive lumière émanée d’une vive intelligence et cette lumière est si forte et si communément nécessaire que celui qui en est impérieusement privé est une sorte d’aveugle. » - G. B. Armenini.
« C’est le dessin ou trait […] qui constitue, qui est la source et le corps de la peinture, de la sculpture, de l’architecture et de tous les autres genres d’art et la racine de toute science. » - Francisco de Hollanda.

Les croquis, ébauches, esquisses, études et autres dessins d’ouvrages de peinture ou de sculpture portent toujours en eux une émotion singulière, celle du commencement même. A fortiori, lorsqu’il s’est agi de livrer au monde des œuvres si bien accomplies qu’elles ont traversé les âges de l’Homme pour lui conter son Histoire. En cela, le dessin est germe, embryon, fœtus de l’œuvre universelle, dont la sublime fécondation se situe au cœur de la pensée, sa matrice en vérité. Il préfigure la naissance de l’œuvre et témoigne à la fois du mystère qui le précède. Par essence, le dessin est matière inachevée, secrète, confinée à l’intimité de l’atelier de l’artiste - pure extension de son esprit - où elle prendra finalement corps et même chair.

Aussi, il y a solennité à observer les dessins des maîtres de la Renaissance. Six siècles ont passé et sous nos yeux, leur pensée éclatante de beauté demeure vivante, féconde, transmet sous le trait d’une pierre noire ou d’une pointe d’argent la quête qui la préoccupait dans l’instant et qu’elle ouvre encore et toujours à nos contemporains qui savent en mesurer toute la nécessité et entendent poursuivre à leur tour le cheminement. 

A admirer les études de Léonard, Lippi, Credi, Bartolommeo, Mantegna et tant d'autres, il semble que le trait contient tout, jusqu’à l’horizon le plus inaccessible. Chacun paraît être en mesure d’aboutir à une dimension plus grande sans ne rien en perdre tant que l’esprit qui le guide et qui n’appartient a priori qu’à l’homme s’en forme une vision limpide, il fouille jusqu’à atteindre l’essence des choses. Il est mesure universelle de la myriade des figures, il est trait d’union et clef de toute création.

La liberté du poignet se contemple et règne de prestesse inspirée. Les mouvements de la pointe d’argent ou de la pierre noire enlevés, tantôt circulaires font naître le velouté sans dévorer l’espace ; tantôt angulaires ils délivrent de la densité sans peser sur la figure. Le trait en relief, en creux, hardi, comme la source devenue ruisseau, rivière et puis fleuve déferle et s’unit à la profondeur de la mer, il jaillit en un tout unique. Lumière et feu aussi, il éclaire et ombrage avec grâce et naturel éclat.

L'artiste élit le dessin au trait pour ne laisser échapper aucune ombre. Ou au contraire, il lui préfère le dessin haché, où les ombres s’imposent par de fines lignes entrecroisées, sensibles comme les fils de soie tissés ensemble composent l’étoffe. Ou encore le dessin lavé, où les ombres apparaissent à la plume trempée dans l'encre brune. Dessin aux lignes rehaussées de quelques traits de gouache. Il pourra opter pour le dessin arrêté aux contours des figures achevés, il saura parvenir au dessin abouti, au dessin pur et dénué de coloris aussi.

Ainsi, à la découverte de leurs dessins, nous entendons que les maîtres vénitiens de la Renaissance étudiaient l’atmosphère, s’attachaient au souffle et se révélaient sensibles aux tons des compositions. Ils traquaient la lumière, et l’appétit de couleur dominait la feuille. Les Florentins, eux, se concentraient davantage sur les volumes, œuvraient à l’animation de l’être dans le mouvement, à l’expression de l’émotion et des états d’esprit, dans la pose, le geste et le drapé.

Ils ont cherché et même inventé des techniques pour en faire plus brillamment jaillir l’étincelle de l’esprit, ont œuvré sur papier blanc, crème, bleu ou rosé, à la sanguine, à la sépia, à l’encre brune, noire, rouge, à la pierre noire, mine de plomb, au crayon noir, à la pointe de métal d’argent, craie et gouache blanches, au lavis brun, bleu, gris-noir, bistre.

Et puis, il est là ce visage délicat dont on ne se déprend pas, une œuvre de jeunesse de Léonard (1452 -1519) qui force l’émotion et la contemplation tant cette Tête de femme au regard baissé plonge au plus profond d’une mélancolique prière. Exécuté entre 1468 et 1475, à la pierre noire ou pointe de plomb et au lavis brun et gris-noir, le dessin fut inspiré par les portraits féminins de Verrocchio dont Léonard cherchait à imiter la beauté des expressions méditatives et des savantes coiffures. 

Comme le révèle l’image passée au réflectographe, le jeune peintre avait eu vraisemblablement toutes les peines du monde à placer l’œil de la belle ainsi qu’à lui façonner un élégant menton, et s’est alors efforcé avec brio à corriger ses erreurs à renfort de rehauts de blancs et de lavis gris. Mais quel ironique et sublime coup du sort pour cette paupière close, désormais ornée d’un trait de khôl propre aux années 1960, lequel ajoute plus de mystère encore à son regard tourné vers l’intérieur ainsi qu’une extraordinaire et touchante modernité au portrait ! Le jeune Léonard de Vinci aurait-il pu seulement imaginer qu’il venait de composer un chef-d’œuvre qui serait admiré par des centaines de milliers de personnes à Londres au début du troisième millénaire ?

L’esprit est présent partout, la raison pénètre partout, le génie s’impose partout et ses aspects et manifestations les plus variés s’expriment avec habileté, en beauté. Au gré de la main, du geste, les traits saisissent l’apparence formelle aussi bien qu’ils réfléchissent l’élan intérieur du visage, précisent la position du moindre cheveu de la coiffure. 

La réflexion créatrice est à l’œuvre et l’on est ému de ressentir l’artiste qui semble encore scruter le modèle, interroger le sens et corriger le trait, embrasser le caractère, restituer l’atmosphère, révéler les tonalités, à pénétrer le vivant, à réussir l’ellipse. Ainsi le dessin assure que l’artiste a su déployer et résoudre, avant tout, ce qui anime l’esprit, et transcrire la vision spirituelle qui le précède. D'autant que la femme évoque aussi bien sûr, à la fois, la grâce, le cœur, le sacré, la virginité, la séduction et la fécondité. Tout entier voué à répondre aux exigences de l’esprit, le dessin allait pouvoir ainsi traverser les siècles, témoigner des préoccupations intérieures de l’artiste, et figurer la présence réelle.

Tous les maîtres de la Renaissance ont emprunté la voie du réalisme, la plus évidente pour parvenir à l’Homme et la nature, fouillant la perspective linéaire en vue de toucher à l’illusion tridimensionnelle, celle qui leur semblait pouvoir les conduire au plus près de la vie. A leurs yeux, le dessin s'était révélé comme le fondement de la création. Il le demeure aux nôtres.